dimanche 6 janvier 2008

SI (Rudyard Kipling)


Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie, Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties, Sans un geste et sans un soupir

Si tu peux être amant sans être fou d'amour, Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et te sentant haï sans haïr à ton tour, Pourtant lutter et te défendre

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles, Travesties par des gueux pour exciter des sots
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles, Sans mentir toi-même d'un mot

Si tu peux rester digne en étant populaire, Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères, Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi

Si tu sais méditer, observer et connaître, Sans jamais devenir sceptique ou destructeur
Rêver sans laisser ton rêve être ton maître, Penser, sans n'être qu'un penseur

Si tu sais être dur sans jamais être en rage, Si tu sais être brave et jamais imprudent
Si tu sais être bon, si tu sais être sage, Sans être moral ni pédant

Si tu peux rencontrer triomphe après défaite, Et recevoir ces deux menteurs d'un même front
Si tu peux conserver ton courage et ta tête, Lorsque tous les autres les perdront

Alors les rois, les dieux, la chance et la victoire, Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et ce qui vaut bien mieux que les rois et la gloire, Tu seras un homme, mon fils.

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