Dans mon précédent article datant de la mi février, j'annoncais un peu de manière prémonitoire, deux évènements: la fin de la CAN (avec la triste défaite du Cameroun en finale) et le retour à la réalité du peuple camerounais.
Si j'étais certain de la déception des camerounais après la défaite de leur équipe nationale en finale, je n'avais aucune idée de l'intensité de la frustration qui régnait au sein de notre population, et qui a dégénéré quelques semaines après, transformant le Cameroun, en destination à risque pour les étrangers, investisseurs ou touristes.
En effet, le pays a connu quatre jours qui ont failli le faire passer dans la zone rouge, celle de là om il devient complexe de revenir...
Une grève ayant pour but d'attirer l'attention sur la hausse drastique des prix des produits de première nécessité (lait, sucre, riz, etc) et de l'inflation du prix du carburant, s'est transformée en une vraie démonstration d'anarchie, favorisée encore plus par deux réalités;
- la non maîtrise par les organisateurs de la grève, des jeunes "lancés" dans la rue;
- le mauvais timing dans la réaction de l'Etat, qui pendant deux jours a cessé de jouer son rôle, laissant la gestion du pays à la rue.
Il ya une réalité claire comme l'eau de roche, l'économie prise sur le plan macro ou micro, est en train de traverser une phase intense de recession. Les familles ont de plus en plus de mal à réunir assez d'argent pour vivre de manière décente, pour envoyer leurs enfants à l'école, pour subvenir aux besoins parfois les plus éléméntaires, pour trouver du travail...
Mais à côté de cette réalité, une autre est encore plus triste, c'est que le phénomène est général, voire même mondial. Le porblème du pouvoir d'achat n'a rien de spécifique au Cameroun, il s'agit d'une situation vécue par bon nombre de pays.
Pour ce qui est le cas du Cameroun, les gouvernants ont peut-être minimisé un phénomène qui prenait de l'ampleur, celui du ras le bol émanant des populations, qui chaque jour se sentaient de plus en plus abandonnées à elles mêmes, et constataient juste qu'une minorité, loin de vivre les mêmes difficultés, s'enrichissait chaque jour un peu plus.
Il est difficile d'aborder ce type de problèmes sans passer pour le défenseur d'un camp ou de l'autre, pourtant on devrait s'imposer d'analyser la situation avec la froideur du sociologue, et non la passion du politique.
L'avantage de la sociologie, c'est qu'elle analyse les faits, sans les juger, sans les condamner, mais en les prennant pour ce qu'ils sont, des descriptions de la réalité. Comme on dit, les faits sont têtus!
Je me permettrai donc dans cette logique, d'analyser d'une part la manifestation qui a eu lieu cette semaine du 25 février (A), et d'autre part le comportement de nos gouvernants (B). A la fin, une sorte de leçon sera tirée (C), sans que mon point de vue ne passe pour être la vérité, mais bien une opinion que j'assumerai en toutes circonstances.
A- La grève du 25 au 29 février
Lundi 25 février 2008:
Programmée depuis quelques semaines, la grève devant servir à attirer l'attention des gouvernants sur les prix très élevés des produits de consommation première, a bel et bien lieu. Les messages annoncaient qu'aucun transport en commun ne circulerait, ni taxis (voitures ou motos), ni bus.
La réalité est que dès le début de la matinée, les syndicats ayant lancé ce mot d'ordre, se sont retrouvés débordés, car les jeunes des quartiers ont jugé plus approprié d'interdire également la circulation des véhicules privés, les cassant et les brûlant parfois. C'est ainsi que dans certains quartiers, on a observé d'abord des casses de véhicules, puis des pillages de magasins, de stations service, sous prétexte que rien n'allait plus, et qu'il fallait en finir soit avec les interêts francais soit avec les investissements des personnes qui ne souffrent pas de la même misère que l'ensemble de la population.
Il faut préciser que seule la ville de Douala a connu des débordements graves, des actes clairs de vandalisme... les autres villes ont respecté le mot d'ordre initial, sans aucun débordement.
Mardi 26 février 2008:
Sans qu'il ne s'agisse de cela, le phénomène de vandalisme a réagi comme une épidémie...les villes de Yaoundé, Bafoussam et autres, ont vécu un mardi noir, avec casses, pillages et morts!
Les populations qui avaient affronté la veille les kilomètres à pied et les risques d'agression, sont restées chez elles, tournées vers un nouveau aspect du problème, la recherche de nourriture!
En effet, avec les pillages de la veille, les boulageries ont fermé, les boutiques et échoppes de quartier ont jugé prudent de rester vérouillées...conséquence, plus moyen de trouver ne serait-ce que du pain, sauf pour les plus téméraires qui ont pu faire le rang de quelques boulangeries, pendant pratiquement...6heures, pour obtenir un stock de pain limité, car il fallait servir le maximum de personnes et non le maximum de pains aux personnes.
En allant dormir ce mardi, les populations ont tout de même un léger espoir, car on annonce la réunion tardive, de plusieurs ministres dont celui des Finances, pour tenter de proposer une solution économique au problème devenu social.
Mercredi 27 février 2008:
Les camerounais se reveillent avec la nouvelle d'une baisse du prix du carburant de 6 F CFA. Très vite l'information fait le tour des foyers, et genère une exaspération, même de la part de ceux qui étaient encore neutres et qui admettent avec les grévistes que l'Etat se moque de son peuple, en réduisant de 6 F le prix du litre du carburant, qui a été augmenté durant la CAN, de 20F...
Les populations commencent à réellement paniquer, à la fois parce que la nourriture se fait très rare, mais aussi parce que les évènements ne cessent de prendre des tournures dramatiques, on parle de plus en plus de morts, d'entreprises et de domiciles pillés, de menaces d'enlèvements, de coupures d'énergie et/ou d'eau dans les foyers, de couvre-feu...
En fait, le mercredi a été le jour de la désinformation, car la nature ayant horreur du vide, il fallait bien que le manque d'informations officielles cède la place à quelque chose, et les rumeurs ont trouvé le terrain idoine...situation qu'affectionnent certaines personnes, désireuses soit de profiter de la situation, soit simplement souhaitant passer pour des stars de l'information.
La tension reste donc perceptible à travers tout le pays, et le Président prend la décision de s'adrésser à la Nation, ce qui apaise les populations convaincues qu'elles recevront une réponse claire à leurs plaintes, solution émanant de la plus haute personnalité du pays.
Jeudi 28 février 2008:
Le discours de Prédisent est percu de plusieurs manières par les populations. Le ton très dur, voire même sévère agace bon nombre de camerounais, qui attendaient un message d'apaisement. Mais pour un certain nombre de personnes, l'Etat reprend la main, en informant que la rue ne parviendra pas à destabiliser le Pouvoir en place, qu'elle soit manipulée ou non. La journée du Jeudi est donc une journée d'observation, car les messages appellant les populations à la reprise des activités sont nombreux, les militaires sont (enfin) visibles dans les villes, et les divers leaders sociaux invitent les habitants à reprendre une activité normale/
Vendredi 29 février 2008:
Les habitants, toujours timides, reprennent leurs activités, ou du moins commencent à sortir de chez eux soit pour aller à la banque, soit pour aller dans les magasins se ravitailler, soit pour faire un tour à leurs lieux de travail et constater ce qui s'y est passé durant la semaine...une rumeur circule encore, disant que les manifestations reprendront le lundi, ce qui fait paniquer la population, et la pousse à faire des provisions, au cas où...
B- Le comportement de nos gouvernants
S'il ya un constat que l'on a pu faire durant cette semaine chaude, c'est bien l'absence d'Etat. En effet, plusieurs facteurs auraient pu/dû faire prendre conscience au gouvernement, que la situation demandaint au moins une attention particulière, sinon des mesures hautement préventives.
1° Dans son discours de fin d'année 2007, le Président annoncait à la Nation de manière assez claire, qu'il allait modifier la Constitution, et particulièrement l'article traitant du nombre limité de mandats présidentiels. Il est clair que dans un contexte comme celui du Cameroun, ce type d'annonces annonce une veille particulière, afin d'avoir très rapidement le ressenti de la population face à une décision qui a des implications certaines.
2° Ensuite le Gouverneur du Littoral, à peine nommé, interdit toute manifesttaion politique, pacifique ou non, prévue par les partis d'opposition, sur son térritoire de compétence. Si la décision est stupide, la manière de l'implémenter l'est encore, puisque plusieurs manifestations sont interdites par les forces de l'ordre, et la dernière a même vu des débordements très importants, à deux jours de la date prévue pour la grève.
3° Durant les deux premiers jours de grève, la rue a pris le pouvoir, gagnant en confiance et persuadée finalement que tout lui était admis. Que les populations aient été manipulées ou pas, n'est même pas le début de la question, mais la réalité est que lorsqu'un gosse casse un verre et ne voit aucune réaction de ses parents, il finit par croire que c'est normal. Alors dès que le normal se transforme en norme (ce qui est admis et fait par la majorité) on ne s'en sort plus. Et ce fût bien le cas, puisque les quartiers calmes ont pris le relais des zones chaudes, même chose pour les villes, qui se sont passées le virus de l'anarchie.
Comme ce fût le cas en France lors des manifestations des jeunes en banlieue, nos gouvernants ont fait les deux erreurs habituelles en période de crise, à savoir minimiser la crise (1), et prendre trop de temps avant de réagir (2).
1° Les mots d'ordre de grève en général n'éffleurent pas les gouvernants, qui pensent toujours que les gens ont trop faim pour prendre le risque de ne pas aller travailler, donc de ne pas recevoir de salaires à la fin du mois. C'est ainsi que jusqu'à la veille du Jour J, le pouvoir en place a négligé cette annonce de grève, pensant qu'elle ferait comme beaucoup d'autres, et ne prendrait jamais forme.
Erreur d'analyse, car les contextes étant différents, les réactions des populations ne pouvaient pas être les mêmes. Ceux qui ont le plus cassé n'étaient pas des salariés, mais des chômeurs n'ayant donc rien à perdre. Ce petit constat démontre le manque d'analyse sociologique de nos politiques, car les statistiques aident à anticiper sur certains phénomènes. Mais s'il ya bien une chose qui énerve nos gouvernants, en plus de l'informatisation (mais pour d'autres raisons) ce sont les chiffres. On ne sait pas quelle est la population actuelle du Cameroun, alors ne demandez pas le nombre de chômeurs, ou encore de foyers ayant des diplômés à la recherche d'un emploi depuis trois ans...
Ces divers points expliquent donc assez clairement pourquoi les gouvernants se sont retrouvés dépassés (il ne faut pas avoir peur de le dire) par des évènements qu'ils ont sérieusement minimisé. Un politique français affirmait que la difficulté pour les hommes politiques lorsqu'ils gouvernent, c'est de trouver des solutions à des problèmes qu'ils ne vivent pas du tout. Car si pouvoir en général éloigne de ses amis, le pouvoir politique éloigne encore plus de la réalité.
Alors ce qui est visible das un pays avancé comme la France, est encore plus effrayant chez nous, car en accédant à un poste politique, le fonctionnaire X gagne parfois moins qu'un chauffeur de DG dans une multinationale, et se retrouve à gérer des budgets parfois dépassant de loin ceux de la même multinationale. En se répétant le dicton un peu fataliste de "on ne vit qu'une fois", il se sent donc obligé de détourner le maximum possible, de vivre sur un nuage avec l'argent du contribuable, et par conséquent s'oublie et oublie le premier devoir d'un homme politique, à savoir apporter des solutions à la population, instaurer des valeurs de justice et d'égalité de chances pour tout le monde.
2° Comme c'est le cas en medecine, le délai d'intervention joue pour beaucoup dans la guérison d'un mal. En politique par contre, les acteurs ont parfois le même type de comportement, lors du déclenchement d'une crise, celui de se jeter d'abord les fautes, ensuite de chercher ce qu'il faire, ce qu'il faut dire et qui doit le dire.
Je viens d'achever un livre évoquant la gestion de la crise des banlieues en France durant la fin de règne de Jacques Chirac, et ce qui est impressionnant quoique très amusant, c'est que les évènements se sont déroulés comme au Cameroun le 25 février.
Des manifestants que l'on ne prend pas au sérieux, des casses qui dégénèrent, une population qui est paniquée, et un Etat qui ne sait plus si c'est tard pour réagir. L'action politique est ACTION, et non pas REACTION. Mais lorsque l'on sent que les choses débordent, il n'ya pas de honte à tenter de les rattraper, sauf un petit cynisme qui consiste à voir les fusibles sauter, pour pouvoir accuser l'un ou l'autre camp.
La grève et les débordements ont eu le temps de prendre forme, de faire de nombreuses victimes, avant que le Chef de l'Etat ne se décide à intervenir. Certains ont avancé qu'il n'était certainement pas informé de la situation, ou de sa gravité. Mais c'est mal connaître ou mépriser la force du Pouvoir politique. Entre les services de renseignements (officiels ou non), les journaux (locaux ou non), les connections entre chefs d'Etats, di le Président du Cameroun n'était pas informé clairement de la situation, cela signifie une seule chose, il était mort entre le 25 et le 27 février.
Même en imaginant que tous les services de renseignement se soient décidés à lui donner une mauvais einformation, que ses antennes paraboliques étaient en panne, que ses sources fiables (et très souvent loin de celles qu'on pourrait imaginer) aient perdu son numéro de téléphone, on est bien obligé d'admettre que des pays comme la France (et ceci pour plusieurs raisons) ont dû lui dire que cela n'allait pas dans son pays.
Plus sérieusement, je pense que la grande difficulté n'a pas été d'avoir des informations fiables, mais simplement de trouver qui devait parler, à qui, et pour dire quoi.
Parfois dans des démocraties, le Premier Ministre aidé de ses ministres ayant une bonne côté de popularité, s'expriment et expliquent des décisions, des choix, des orientations.
Mais le cas du Cameroun était complexe, car certains ministres s'étaient déjà expliqué, et mal. Certains méprisaient l'appel à la grève lancée par les syndicats, et d'autres s'amusaient à avancer des bêtises à une population qui commençait à être asphyxiée par ses problèmes quotidiens de pouvoir d'achat. Donc la voie ministérielle était à éviter au risque d'attiser le feu.
Une autre solution dans des pays où les répartitions sociales sont bien faites, est de faire intervenir des leaders d'opinion, des sociologues, des personnalités reconnues et respectées pour leur farnc parler, leur objectivité, leur sens du bien commun. Cette option également était compliquée à mettre en place, car l'Etat n'a jamais pensé qu'il soit utile de donner leur place à cette classe tampon de la société.
Le seul médicament qui restait face à cette crise, était une intervention du Chef de l'Etat. Maintenant il fallait trouver à qui il s'adresserait, les manifestants, les syndicats, les hommes politiques, etc? et pour leur dire quoi? "je vous ai compris", ou alors " l'anarchie ne marchera pas dans ce pays".
Je pense que chacun a trouvé les réponses à mes questions, dans l'allocution du Président. Allocution au cours de laquelle ses conseillers ont commis la gourde de ne pas insister pour qu'il commence par "Chers compatriotes", et qu'il finisse par "Vive le Cameroun". Non seulement on n'a pas perçu cette politesse basique même en temps de guerre, mais le peuple a été choqué, de ocnstater qu'à aucun moment le Président ne présentait ses condoléances aux familles ayant perdu des membres, par des "balles perdues".
Je ne vais pas m'éterniser sur ce discours qui manifestemment ne s'adressait pas à la population camerounaise entière, mais à des personnes précises qui je l'espère se sont reconnues.
Je pense simplement que quelques leçons devront être tirées de ces quatre jours, dont les conséquences ne seront vraiment visibles que d'ici 3 ou 4 mois.
C- Leçons à tirer
Peut-être c'est mon côté pacifiste qui domine mais je commencerai pas dire que je ne crois pas que la violence puisse aider à résoudre un problème. Certes les sociologues d'un certain courant affirment (est-ce qu'ils le pensent vraiment?) que la destruction peut être positive si elle permet de reconstruire ensuite.
Certes la grève est un moyen comme un autre d'attirer l'attention sur des difficultés que l'on ressent au plus profond de soi, mais lorsqu'elle prend une tournure aussi dramatique que ce qu'on a vu, on se demande si cela vaut la peine de parler de reclamation?
Ce qui s'est vécu démontre bien que les choses vont mal, que les populations deviennent agacées, et ont des réalités différentes de celles d'il ya 10 ans, donc il est absurde de leur proposer des solutions dépassées. Mais un mot doit revenir autant que possible, celui de "RESPONSABILITE";
En cassant les boulangeries, les stations et autres entreprises, on peut penser qu'on se défoule ou qu'on présente ses réclamations, mais on oublie très vite qu'à défaut d'augmenter les difficultés, on détruit les salaires de milliers de personnes, qui sont des camerounais, et qui pourvoient à la vie/la survie de plusieurs autres camerounais.
L'Etat devrait partir de cette crise pour instaurer un vrai débat, afin de relever les dysfonctionnements de la société, afin de prendre des mesures structurelles et non plus seulement ponctuelles. L'Etat doit faire de la politique, et donc AGIR et non SUBIR, anticiper et non maîtriser. Créer des cercles de réflexion, donner une place aux leaders d'opinion (qui ne sont pas nécessairement des leaders politiques), s'imposer une autre manière de faire, soumettre les responsables à une remise en cause, à une évaluation, à des critiques...
Le Chef de l'Etat a décidé d'augmenter les salaires des fonctionnaires et hommes en tenue à partir du 02 avril, la suspension des frais de douanes sur des produits de première nécessité et sur certaines matières premières rentrant dans la fabrication du ciment par exemple.
Il s'agit de mesures non négligeables, mais qui ne seront que des calmants à un mal de dent. Le calmant donne juste un moment de repis, le temps de se rendre chez un dentiste. Il ne faudra donc pas confondre la baissée de la fièvre, avec la fin du paludisme.
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